Les règles de l'urbanisme en France rendent les parcelles agricoles inconstructibles (c'est la base).
Par dérogation à ce principe de base, les "chefs d'exploitation agricole" (c'est un statut vis-à-vis de la sécurité sociale agricole) peuvent construire les bâtiments nécessaires à l'exploitation agricole.
Cela n'implique donc pas une interdiction absolue pour les maraîchers et autres cultivateurs de construire leur habitation de fonction sur leur terrain agricole, juste que les organismes en charge d'autoriser la construction (mairie/DDTM, avec avis de la CDPENAF) attendent une justification rigoureusement argumentée du caractère "nécessaire à l'exploitation agricole" de la présence permanente et rapprochée du chef d'exploitation sur place.
D'après les renseignements glanés à droite à gauche, il semblerait que la réflexion s'appuie sur les critères suivants :
[édition du 03/10/2021 : j'ai trouvé un document sur les règles d'urbanisme agricole édité par la chambre d'agriculture de l'Aveyron qui confirme les renseignés "glanés à droite à gauche" : http://www.aveyron.gouv.fr/IMG/pdf/CharteUrbanisme-Fiche1-Regles_constructions_exploitation_agricole_cle26e34f.pdf ]
- amplitude horaire importante (généralement justifiée en élevage notamment par les besoins en terme de traite du lait), mais peut également s'argumenter en maraîchage bio non mécanisé du fait de la charge de travail importante (cf. point suivant)
- la charge de travail importante : entre le désherbage, la gestion de l'irrigation, les travaux de plantation et d'entretien des cultures, la charge de travail peut vite devenir importante.
- le fait de travailler les week-ends est un argument de plus pour justifier la nécessité d'un logement sur l'exploitation.
- le besoin de pouvoir réagir rapidement en cas d'urgence
- l'éloignement de la résidence du chef d'exploitation par rapport à la localisation de l'exploitation (je n'ai pas de seuil précis concernant ce critère, mais j'estime qu'au delà d'une demi-heure de route, ça doit pouvoir se justifier).
Sur la base de ces éléments et d'échanges avec des collègues maraîchers sur la pratique de leur métier, voici les éléments qui me semblent pouvoir justifier la nécessité d'une présence permanente du chef d'exploitation sur une ferme maraîchère.
Gestion de la serre à semis
Particulièrement
fragiles, les semis et jeunes plants constituent un enjeu fort de la
production maraîchère autonome. La serre à semis nécessite donc une
gestion fine de l'ouverture, fermeture, ombrage et arrosage. La
fragilité des plants implique que très peu de temps d'exposition à des
conditions défavorables suffisent à détruire des jours de travail et
peuvent impliquer un manque à gagner important.
Rien que cette nécessaire gestion fine et rapprochée de la serre à semis justifie le besoin de présence permanente du maraîcher sur son exploitation.
Néanmoins d'autres besoins de protections contribuent à justifier ce besoin de présence permanente.
Protection des cultures contre les aléas climatiques
Que ce soit contre le trop chaud, le trop froid, le vent ou les intempéries (grêle notamment), les plantes ne peuvent pas être déplacées comme le bétail pour les mettre à l'abri et il faut donc adapter leur environnement immédiat afin de les protéger.
- contre la chaleur : sous serre il est nécessaire d'adapter en permanence l'aération / ventilation et l'ombrage, ou de recourir à la pratique du bassinage afin de réguler la chaleur, notamment durant les mois chauds.
Ces adaptations se font via l'installation et l'enlèvement de voiles d'ombrage, ou par le badigeonnage de la serre à l'argile, et par l'ouverture et la fermeture des éléments d'aérations (façades pignons et le cas échéant latérales). Si les voiles d'ombrage et le badigeonnage sont des installations prévues pour au moins plusieurs jours, l'ouverture / fermeture des aérations peuvent avoir lieu plusieurs fois par jour, y compris tôt et tard.
Le bassinage quant à lui correspond à un arrosage court visant à dissiper la chaleur via l'évaporation de l'eau (le processus d'évaporation consomme de l'énergie, et donc de la chaleur).
Le besoin de gérer finement la température (et d'éviter les gros coups de chaleur) est particulièrement sensible pour l'ensemble des semis préparés sous serre.
D'avril à octobre (soit durant 7 mois), il y a dans le secteur d'Orthez, plus de 22 jours où les températures maximales dépassent les 30ºC (source : https://www.meteociel.fr/obs/clim/normales_records.php?code=64430003). Le réchauffement climatique devrait logiquement faire augmenter ce genre de situations.
Ci-dessous la première carte donne la moyenne actuelle (période de référence 1976-2005) du nombre de jours de chaleurs (T > 25ºC) par an (60-70 jours vers Orthez) et la seconde donne la tendance pour la période à venir 2041-2070 : + de 80 jours de chaleurs par an dans le secteur d'Orthez, soit une augmentation d'au moins 15 à 30%.
Source : http://www.meteofrance.fr/climat-passe-et-futur/climathd
- contre la grêle
Les épisodes de grêle surviennent à l'occasion d'orages, dont la localisation précise reste difficile a prévoir (Météo France 2020). Les périodes les plus à risque sont traditionnellement la transition hiver-printemps : "giboulées de mars" et l'été. Néanmoins ils peuvent frapper tout au long de l'année. En maraîchage, les enjeux se concentrent sur les légumes feuilles (bettes, choux, épinards) et les légumes fruits, notamment ceux à peau fine (tomates et courgettes en premier lieu) mais plus généralement tous les légumes fruits sont très sensibles au moment de la floraison.
La protection des cultures de plein-champ est réalisée par l'installation momentanée de protections par des voiles ou filets pare-grêle.
Ces protections peuvent être mises en place au déclenchement d'alertes Météo-France type "alerte orange orage". Si celles-ci réussissent à prévoir efficacement la survenue des épisode orageux, elles ne parviennent pas à les localiser précisément.
Étant donné les nombreuses interventions nécessaires en maraîchage : gestion de l'enherbement, protection phytosanitaire, etc., combinée à la rotation annuelle des cultures (et donc au déplacement des enjeux) il n'est pas envisageable de fixer des éléments de protection de manière permanente comme c'est parfois le cas en arboriculture.
Il faut donc pouvoir réagir dès l'apparition des alertes oranges, lesquelles peuvent survenir à n'importe quel moment.
NB : s'il semble difficile d'envisager de protéger l'ensemble des cultures à chaque alerte, on concentrera les protections sur les cultures présentant le plus fort enjeu au moment de l'alerte.
Le Sud-Ouest en général et le Béarn en particulier est un secteur avec un des plus grands nombre de jours orageux par an : plus d'une trentaine.
- contre le vent
Les tempêtes frappent chaque hiver, généralement de novembre à mars, certes avec plus ou moins de violence et toutes n'entrent pas dans les mémoires, mais il suffit de vents autours de 80-100 km/h pour constituer des risques sur les serres, or de telles vitesses sont atteintes (presque) tous les hivers.
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Il est alors éventuellement nécessaire de procéder à l'ouverture des serres afin de limiter l'opposition aux vents et d'espérer pouvoir protéger la structure, quitte à perdre la culture en place.
Serres détruites chez une maraîchère béarnaise en mars 2020 (image : SudOuest) |
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J'ai eu l'opportunité d'échanger avec une maraîchère de Haute-Garonne ayant réussi à obtenir, pour son activité de maraîchage, une autorisation de permis de construire pour son habitation. Voici les éléments qu'elle m'a communiqué concernant la présentation et l'argumentation développée dans sa demande.
1. Elle recommande de réaliser d'abord la demande de construction pour le bâtiment à usage strictement agricole, puis d'attendre quelques années (2-3 ans) avant de faire la demande pour le bâtiment d'habitation : ce laps de temps permet démontrer que l'activité agricole est réellement mise en œuvre, et qu'il ne s'agit donc pas juste d'un prétexte pour se bâtir sa maison sur un terrain à bas coût et/ou dans un contexte "privilégié".
2. Ensuite, si possible, insérer le logement au sein du bâtiment agricole : cela diminuera la quantité de terres agricoles consommées par l'urbanisation, surtout si le logement s'insère à l'étage (pas d'agrandissement nécessaire). En effet l'habitat devenant indissociable du bâtiment agricole, il n'est pas possible de le vendre séparément : c'est une garantie de plus contre le risque de fraude. Et de plus, en réunissant deux constructions en un seul bâtiments, cela limite de facto les mètres carrés imperméabilisés (un seul accès routier, un seul accès réseaux, regroupement/densification des constructions au lieu d'un étalement, limitation du mitage). Éventuellement, si le bâtiment peut être réhaussé au lieu d'être agrandit, cela limiterait d'autant
3. Faire attention aux formulations : demander une autorisation pour un "logement de fonction" et pas pour une "habitation principale" (même si dans les faits ce sera le cas) : tout est dans la manière de présenter les choses.
4. Avoir fait des demandes d'aides (DJA, subventions de la région et/ou du département, etc.) : en effet, si les pouvoir publics ont investit de l'argent pour aider l'émergence d'une activité, il serait regrettable de remettre en cause la pérennité de cette activité en interdisant à l'exploitant·e d'habiter sur place.
5. Si on cultive en bio, il n'est pas inutile de rappeler dans sa demande que ce mode de culture se base surtout sur une gestion préventive des risques phytosanitaires, lesquels ne peuvent être efficacement prévenus que par une observation rigoureuse et régulière des cultures, observations qui nécessitent autant de temps de présence sur l'exploitation, rallongeant le temps de travail par ailleurs déjà conséquent.
6. En maraîchage diversifié, on cultive de nombreuses espèces de légumes qui ont chacune leurs besoins en eau propres : l'irrigation ne peut donc pas être facilement gérée "en grand" et demande une gestion méticuleuse et une surveillance rapprochée.
7. La vente directe sur la ferme est une manière d'élargir sa commercialisation et donc participe à renforcer l'exploitation qui devient plus rentable et plus pérenne. Mais la vente directe implique également une présence durant laquelle il n'est pas possible de s'occuper des cultures.
8. Enfin dernier élément : les différents acteurs publics (mairie, DDTM, CDPENAF) seront attentifs à l'avis de la Chambre d'Agriculture : il est donc opportun (indispensable ?) que le / la porteu·r/·se de projet soit connu·e et bien identifié·e par les services consulaires et que ceux-ci aient validés son dossier en amont.
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enfin et cette réflexion n'est pas directement issue de ma discussion avec cette maraîchère, mais plutôt la conséquence de ces échanges :
--> habiter sur la ferme implique souvent d'y habiter en famille (ne serait-ce qu'avec son conjoint ou sa conjointe) et qu'il est alors éventuellement plus facile de pouvoir recourir à une aide familiale (collaborateur d'exploitation agricole), à même de sécuriser la pérennité de l'exploitation, alors qu'une habitation à distance, ne permet pas cela avec autant de facilité.